L' intérêt social économique
et le contrôle de la société
déterminé par des intérêts économiques
extérieurs à la société (abus de contrôle):

Une étude de droit comparatif franco-allemand
sur la protection de la société de capital
contre l' abus du pouvoir de direction des organes de la société

(titre original allemand: "Unternehmerisches Gesellschaftsinteresse und Fremdsteuerung: Eine rechtsvergleichende Studie zum Schutz der Kapitalgesellschaft vor dem Mißbrauch organschaftlicher Leitungsmacht")
 
 

par
 
 

Gunter Reiner



 
 
 
 
    publié chez C.H. Beck, Munich 1995 

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Introduction dans la problematique de la responsabilité dans les groupes de sociétés en France et en Allemagne

Pour la protection des intérêts des sociétés filiales, des associés minoritaires et des créanciers des groupes de sociétés, les ordres juridiques français et allemand ont recours à différentes techniques juridiques. Le droit allemand connaît deux catégories principales de groupes de sociétés, groupes de droit et groupes de fait.

La notion de "groupe de droit", unique au droit allemand des sociétés anonymes, désigne un régime spécial légal dérogeant au droit général des sociétés auquel une société anonyme (dépendante) et une autre entreprise (dominante) quelquesoit sa forme juridique peuvent se soumettre par contrat mutuel (contrat d' entreprise, "Unternehmensvertrag"). La loi allemande sur les sociétés anonymes (Aktiengesetz, AktG) prévoit cinq différentes sortes de "Unternehmensvertrag" (art. 291 AktG) dont deux ont acquis une certaine importance pratique. Le prémier exemple est le "contrat de contrôle" (Beherrschungsvertrag) qui octroie à l' entreprise dominante le droit de donner des directives obligatoires au directoire de la sociétés anonyme dépendante. Ces directives n' ont pas besoin d' être animées par le souci de préserver l' intérêt social économique de la société anonyme. Ainsi, le contrat de contrôle donne à l' entreprise dominante un droit d' exploiter la société anonyme dépendante et de commettre des actes qui, sans contrat d' entreprise, seraient considérés comme des cas d' abus de biens sociaux. Le deuxième exemple est le "contrat de transfert de bénéfices" (Gewinnabführungsvertrag) qui oblige la société anonyme dépendante à verser l' intégralité de ses bénéfices annuelles à l' entreprise dominante. Le corrélatif de ces droits de l' entreprise dominante à l' égard de la société anonyme dépendante, nécessaire pour la protection des intérêts des créanciers de la société anonyme dépendante, est dans les deux cas l' obligation de l' entreprise dominante à combler l' intégralité des pertes annuels de la société anonyme (art. 302 AktG).

La notion de groupe de fait désigne le groupe de sociétés tel qu' il est perçu en France, c' est à dire un nombre de sociétés liées par une direction unique en l' absence de "contrat d' entreprise" (Unternehmensvertrag). Le droit allemand des groupes des sociétés de fait et basé sur l' hypothèse du „danger spécifique du groupe des sociétés" („spezifische Konzerngefahr"). Par là on comprends une éspece de présomption de fait plus ou moins irréfragable d' un conflit d' intérêts et d' un abus de contrôle du moment que les contrôleurs de la société poursuivent des intérêts économiques personelles hors de la sociétés

Parmi les groupes de fait la jurisprudence et doctrine allemandes distinguent les groupes simples et les groupes caractérisés, selon que la société mère intervient ou non de façon permanente et étendue dans la direction des affaires de la société filiale. En principe, les limites que le droit impose à l' exercise du pouvoir de direction de l' entreprise dominante (société mère) sur la société dépendante sont les mêmes. En fait, dans les deux cas la direction du groupe est lié aux intérêts sociaux de la société filiale et une gestion du groupe méconnaissante de ces limites s`expose à l' obligation envers de la filiale de payer des dommages et intérêts. Ainsi les art. 311 et s. AktG imposent à l' entreprise dominante d'accorder une compensation financière à la société filiale pour toutes les opérations désavantageuses que la première a pu contraindre la seconde à entreprendre. Cette compensation doit être effectuée au cours de l'exercice durant lequel ces opérations ont été conduites. Il en va de même pour toutes les dispositions désavantageuses prises par la société filiale sur l'ordre de la société mère. Des principes équivalents s'appliquent enfin aux sociétés à responsabilité limitée sur le fondement particulier de "l'obligation de loyauté" (gesellschaftliche Treuepflicht) qui, en vertu de la jurisprudence, pése notamment sur les associés majoritaires au sein de la communauté des associés.

La particuliarité de ce qu' on appele groupe de fait caractérisé en Allemagne consiste dans le fait que le pouvoir de direction a été exercé d' une manière tellement étroite qu' il est impossible en cas de faillite de la filiale de prouver en détail l' intégralité des mésures de gestion dommageables que la filiale a dû entreprendre à la demande de la société mère contre son propre interêt social économique donnant lieu à des dommages et intérêts. Afin de pouvoir sanctionner la société mère malgré ces difficultés de preuve la jurisprudence allemande, approuvée par la grande majorité de la doctrine, a recouru a une argumentation assez osée. Par les décisions "Autokran", "Tiefbau" , "Video" et "TBB" elle a assimilé les groupes de fait dits "caractèrisés" aux groupes de droit, du moins en ce qui concerne la responsabilité de la société mère pour les pertes et dettes de sa filiale. A raison du pouvoir de direction permanent et étendu exercé par la première sur les affaires de la seconde, le juge a considéré que la société mère, dans un groupe de fait caractérisé, était soumis à la mêmes obligation que celle que prévoit, dans l'hypothèse d'un groupe de droit, l' art. 302 AktG. En outre, et même au delà des conséquences juridiques prévues par le texte de la loi et quittant ainsi le cadre methodologique d' une analogie (à l' art. 303 Art. AktG) proprement dite la jurisprudence allemande oblige la société mère à éponger les dettes de sa filiale, en cas de faillite de celle-ci (art. 303 AktG).

A la différence du droit allemand, le droit français ignore la distinction entre groupes de droit et groupes de fait. Le groupe, quelquesoit ses modalités d'organisation, demeure essentiellement en France une situation de fait. En l'absence d'une réglementation légale des contrats de groupe, la société mère n'est donc pas tenue en principe de supporter les pertes de sa filiale. Cette position de principe connaît cependant des exceptions, notamment lorsque la société filiale est en état de cessation des paiements et fait l'objet d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

Dans cette hypothèse, la société mère peut en effet être condamnée à combler le passif de sa filiale, en partie ou en totalité pourvu qu' elle puisse être reconnue comme dirigeant de droit ou, cas le plus fréquent, dirigeant de fait de la société filiale (art. 180 de la loi de 1985). Cette qualification suppose que la société mère ait exercé sur sa filiale un pouvoir de direction positif et habituel, critère qui n'est pas sans rappeler la notion de "direction permanente et étendue" qui permet à la jurisprudence allemande de reconnaître un groupe de fait caractérisé. Mais à la difference du traitement de ce dernier par la jurisprudence allemande l' application de art. 180 L.85 demande la preuve des fautes de gestion, c' est à dire l' établissement les mésures de gestion précises pouvant être reprochées à la société mère. Les comportements des dirigeants de droit et des fait définis par l'art. 182 de la loi de 1985 non seulement manifestent une faute de gestion commise par la société dominante vis à vis de la société dominée, mais surtout sont l'indice d'une confusion ponctuelle entre les patrimoines des deux sociétés justifiant une extension (imparfaite) de la procédure collective de la société aux dirigeants fautifs. L' art. 182 no. 1 L. 1985 sanctionne en particulier l'abus de biens sociaux étant entendu qu' en vertu de la décision "Rozenblum" de la Cour de cassation, chambre criminelle, cette qualification pénale n'est pas retenue lorsque l'usage des biens pris en considération est dicté par l'intérêt économique, social ou financier commun apprécié au regard d'une politique élaborée pour l'ensemble du groupe. La signification de l' art. 182 L. 85 par rapport à une action en dommages et intérêts de la société ou du syndic contre la sociéte mère dirigeante de droit ou de fait consiste surtout au niveau de la preuve: il n' y a pas besoin de prouver un lien de causalité entre la gestion de groupe abusive et l' endettement de la société dépendante. Avec l' art. 182 L. 1985 le droit français dispose donc d' un outil juridique capable de resoudre le même type de problèmes de preuve que celui constaté par la jurisprudence dans les cas de groupe de fait "caractérisés". Le deuxième outil du droit français permettant l' extension (véritable) de la procédure de redressement judiciaire aux associés en général et à la société mère en particulier, sans qu' il y aie besoin de prouver un lien de causalité avec un comportement fautif a été par la jurisprudence dans les cas de confusion de partimoine et de sociétés fictive. Du côté allemand, la confusion de patrimoines a également été reconnue par la jurisprudence comme justification de l' obligation des associées à payer les dettes de leur sociétés. Mais à présent, contrairement au droit français, les cas où cette institution juridique a été emploié en droit général des sociétés sont restés très rares en Allemagne, et ce n' est qu' une confirmation de cette réticence si dans le contexte des groupes de sociétés la jurisprudence a préféré à la confusion de patrimoines l' analogie au régime spéciale du groupe de droit.

Les droits allemand de groupes de sociétés de fait et le droit français général des sociétés ainsi présentent, en ce qui concerne la responsabilité de celui qui contrôle la gestion, des points communs surprénants. Cette constatation amène l' auteur a mettre en question l' hypothèse du „danger spécifique du groupe des sociétés" („spezifische Konzerngefahr") ou - comme on dit aussi - du conflit d' intérêt "specifique" des groupes des sociétés («Konzernkonflikt»), hypothèse économique qui sert de point de départ de la réflexion juridique dans la jurisprudence allemande non seulement pour la question du contrôle de pouvoir de direction des entreprises dominantes mais aussi pour la détermination des limites légales à la création des groupes de fait. A partir d’ une comparaison avec le droit français l’ auteur développe la notion de "contrôle de la société déterminé par des intérêts économiques extérieurs" („Fremdsteuerung") comme critère principal de l’ abus de contrôle. Il s' agit là d' une conception subjective qui, en contradiction avec une grande partie de la doctrine allemande, a pour vocation de limiter le contrôle jurisprudentiel de la gestion aux cas de détournements intentionels des intérêts de la société dominée et, par le biais de l’ intérêt de la société, des intérêts des créanciers ainsi que des associés minoritaires.
 
 

Table des matières (traduction de l´allemand)


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